[Analyse] [Féminibook] QUE CREVE LE MATRIARCAT

Une réflexion autour du Pavillon des Hommes et des représentations de la domination féminine

Trigger Warning:  Esclavage sexuel, Prostitution, Mention de violences physiques et sexuelles



Que celleux qui s’attendaient à un pamphlet antiféministe se rassurent - ou contiennent leur déception - ce ne sera pas le cas. Cet article est d'ailleurs écrit dans le cadre du Féminibook, qui vise à présenter des œuvres en lien avec le féminisme, une chaque jour de novembre. Nous venons après  "La reine du Tearling", d'Erika Johansen, sur le blog de Lilia Vernalia, et nous serons suivis par "Le roi disait que j'étais le diable", d'Aliénor d'Aquitaine, sur la Page qui Marque.

On va cependant bien parler ici de matriarcat, enfin surtout de ce que ça donne dans la fiction. Des univers matriarcaux moisis - pleins - et de ceux plus intéressants - en particulier "Le Pavillon des Hommes", de la mangaka Fumi Yoshinaga.
Le terme de « matriarcat », bien qu’ayant été utilisé à différentes sauces, renvoie basiquement à un pendant « féminin » du patriarcat. Pas juste une communauté matrilinéaire, ou vénérant un panthéon féminin, mais bel et bien une société où les femmes détiendraient l’autorité, à tous les niveaux et depuis un certain temps. Et chose amusante, bien qu’aucune société matriarcale n’ait jamais existé dans l’histoire récente - d'un point de vue euro-blanco-centré peut-être erroné -  c’est un concept qui reste très évocateur.
Quant à l’inverse il est nécessaire, à chaque fois que l’on parle du patriarcat, de réexpliquer perpétuellement ce que ça signifie, et pourquoi ce n’est pas exagéré. Comme si le fait de le vivre rendait l’idée plus difficile à appréhender.

La non-concrétisation du matriarcat a également joué dans la variété des univers imaginés, très différents voir contradictoire entre eux. Le site collaboratif « TVTropes » distingue astucieusement quatre archétypes parmi les différentes formes que peut prendre le matriarcat dans la fiction:
-les matriarcats « éclairés», et leur opposé, les matriarcats « répressifs », où une société entre les mains des femmes tendrait inévitablement vers l’utopie / la dystopie.
-les matriarcats « d’inversion des genres », où les rôles «traditionnels » sont échangés, mais sans autres conséquences majeures
-les matriarcats « sexy », où l’omniprésence de femmes dominantes sert d’excuse pour inonder l’audience de fantasmes sexuels lesbiens ou BDSM

Un paradis essentialiste

 

Personnellement, les premières images qui me viennent en tête quand on me parle de monde régis par les femmes sont sûrement celles d’utopies féériques, où la misère et surtout la violence n’existent plus depuis longtemps - grâce à la sagesse de la reine. Pourtant, après quelques recherches, je me suis rendu compte que les matriarcats utopiques n’étaient absolument pas les plus courants dans les films ou la littérature. Pourquoi m’ont-ils marqués alors comme la vision du matriarcat « par défaut » ? Peut-être parce que c’est par contre la représentation la plus courante dans les dessins animés - Sailor Moon, Wonderwoman, Charlottes aux Fraises, My Little Pony.. .-, voir les jeux vidéos - Suikoden V…  des médias digérés massivement pendant l’enfance.

Mais n’est - ce - pas une bonne chose finalement, vous allez me dire, que la domination féminine soit présentée comme source d’apaisement, de pacifisme, d’empathie ? Des mondes où les guerres ont cessées et où le crime a chuté ?

Au contraire! Imaginer spontanément que la domination millénaire d’un genre sur un autre donnerait des résultats très différents selon le genre aux commandes est particulièrement essentialiste. Ici, le matriarcat serait une meilleure société parce que les femmes sont douces et attentionnées ? Que peu importe l’environnement social et politique en place depuis toujours, les femmes seraient NATURELLEMENT plus douces et attentionnées ? L’instinct maternel sans doute ?
 
Reine Arshtat: "Oh mon enfant, j'étais tellement inquiète. Tu ne peux pas imaginer à quel point je suis soulagé que tu sois revenu sain et sauf  !"

 Comme l’expliquait la chercheuse Colette Guillaumin, les discours naturalistes sur les groupes exploités sont toujours apparus à posteriori pour justifier leur exploitation par le groupe dominant. 

«[…] Si les femmes sont dominées c’est parce qu’elles sont « pas pareilles », qu’elles sont différentes, délicates, jolies, intuitives, pas raisonnables, maternelles, qu’elles n’ont pas assez de muscles, qu’elles n’ont pas le tempérament organisateur, qu’elles sont un peu futiles et qu’elles ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. […] Ces conceptions évacuent ainsi le rapport de classes entre les deux sexes, le rapport intra-humain ; ils confortent l’exploitation et la mainmise en les présentant comme naturelles et irréversibles. Les femmes sont des choses, donc elles sont des choses. En essence […]» Colette Guillaumin, « Sexe, race et pratique du pouvoir –l’idée de nature », p60 & 77

Donc les caractéristiques attribuées par essence au groupe des femmes, même "positives »" ne sont qu’une conséquence de la domination patriarcale, et non l’inverse. Un long travail de conditionnement permettant de justifier - rétroactivement -  leur exclusion des sphères du pouvoir : « Trop délicates pour la guerre / Trop douces pour la politique / Trop intuitives pour la science… ».

Alors pourquoi donc, dans un matriarcat installé depuis des générations, le groupe dominant des femmes subirait-il cette essentialisation ? A l’inverse, il se définirait comme référence, force neutre et civilisée domptant la nature, tandis que les hommes eux seraient les victimes de l’idéologie naturaliste et se verraient attribués toute une série de traits expliquant leur asservissement.

Mais… les hommes ne se voient pas déjà attribuer des traits naturels dans nos sociétés patriarcales ? C’est vrai que le crime, la guerre, la violence en général, reste dans les imaginaires très forcément associé aux personnages masculin et au pouvoir qu’ils exercent - par exemple, l’avènement d’un matriarcat a fait chuter fortement la criminalité dans l'épisode de Slider "Le Sexe Faible". Et au début du nanar "Le Dernier Homme Sur Terre", le monsieur en question est carrément reprogrammé pour ne pas être agressif. Ah mais c'est tous moisi d’être considéré comme naturellement violent non ?
En vérité, ça présente surtout des avantages. Déjà, parce que la violence est bien souvent célébrée plutôt que dénoncée. Et surtout ça fournit une impunité bien pratique au groupe dominant, entre machin qui « n’a pas su maitriser la force de ses coups, vous comprenez elle l’avait mis colère » et truc qui « ne peut pas contrôler ses pulsions sexuelles, mais bon c’est dans leur nature ». Donc non, l’essentialisation, l’idée de nature, n’est jamais en faveur des dominé-e-s.

Dans la première saison de la série animée "Rick & Morty" , l'épisode « Raising Gazorpazorp » rend très bien compte de cette idée de différenciation sexuée, en la poussant jusqu’à l’absurde. Les protagonistes échouent sur une planète contrôlée par une civilisation souterraine de femmes hautement raffinées et soucieuses les unes envers les autres, dotées de pouvoirs psychiques et de technologies avancées, tandis que les hommes revenus à l’état de créatures « bestiales », entièrement dominés par leurs pulsions violentes et sexuelles, sont confinés à la surface. L’aspect comique est qu’en plus des attributs habituels - compassion, pacifisme, etc. cette société matriarcale accorde une place démesurée  à toutes les futilités « typiques »  de la femme occidentale - amour de la mode et des friandises, peur des petites bêtes et dégoût des pets… Je m'interroge sur la portée féministe de cet épisode, est-ce que ce genre de caricature essentialiste peut démontrer l'artificialité des représentations, ou ne fait-elle au contraire que renforcer les stéréotypes ?


Enfin, on se rend ici compte que la différenciation sexuée étant un produit du patriarcat, il n’y a aucune raison qu’une société matriarcale de longue date diffère elle-même d’une société patriarcale. Les femmes seraient fortes, rationnelles, courageuses, ambitieuses, sujettes à des désirs soi-disant incontrôlables. Les hommes seraient interchangeables, faibles, et limités par leur nature plus réservée, leur envie de s’occuper du foyer.

Il pourrait y avoir certes quelques divergences dans la symbolique génitale ou reproductrice, mais les systèmes de domination et d’appropriation resteraient strictement les mêmes. Et ce serait tout aussi dégueulasse. Donc arrêtez SVP de nous vendre des modèles de domination genrée idylliques. 

Le mariarcat contre la nature


"Le Pavillon des Hommes" est un manga de Fumi Yoshinaga publié depuis 2005. Il se déroule à l’époque d’Edo - 1600-1868 - dans un Japon uchronique à où la population masculine a été réduite à un quart de la population féminine à cause d’une épidémie de «variole du Tengu », maladie foudroyante à laquelle peu de jeunes garçons survivent. Après quelques décennies, malgré des réticences - des deux côtés - à bousculer le système traditionnel, les précieux hommes survivant sont confinés au foyer dans l’attente d’un mariage, tandis que les femmes commencent à transmettre leurs entreprises et savoirs de mères en filles. La noblesse suit une dynamique similaire bien qu’un peu plus lente, et le manque d’héritiers mâles contraint également les castes dirigeantes à adopter une filiation matrilinéaire. Moins d’un siècle plus tard, les femmes occupent quasiment tous les postes politiques et économiques majeurs.

Le récit suit plusieurs générations de personnages, tous évoluant au sein du pavillon des hommes, lieu de prestige mettant les plus beaux jeunes hommes du Japon à disposition de la shogun - dirigeante du pays - pour sa reproduction et son plaisir. Il est inspiré de l’ « Ooku », résidence des concubines du shogun, qui exista réellement et fut lui aussi isolé du monde extérieur pendant près de 200 ans. Le manga raconte les intrigues et romances de jeunes éphèbes vivant au pavillon, aussi bien que les manœuvres politiques des shoguns se succédant lors de la période Tokugawa. Pendant ce temps, on suit en arrière-plan l’installation puis la consolidation d’un pouvoir matriarcal, de manière parfois évidente, parfois subtile. Les aventures se déroulant au début de l’épidémie prennent place dans une société très proche de la réalité historique, tandis que 80 ans plus tard, le matriarcat s’est imposé comme une évidence.
Une autre subtilité du récit, c’est que le passage à la matrilinéarité n’est vu au début que comme une entorse nécessaire à la tradition, en attendant que la situation retourne à la normale. Ainsi, les femmes héritières ou occupant des postes importants prennent des titres masculins, d’une part pour ne pas rompre totalement avec le modèle ancestral de filiation, d’autre part pour cacher aux autres nations l’absence d’hommes aux commandes dans le pays. Mais en les consignant sous ces noms-là dans les archives, le sexe des dirigeant-e-s passé-e-s devient invérifiable. Ainsi, après un certain temps, la plupart de la caste politique s’imagine que ce sont des femmes qui gèrent le pays depuis toujours. Et le récit étant basé sur de vrais éléments historiques, l’auteure s’amuse également de ça pour nous faire douter : vu que le Japon s’est réellement coupé du reste du monde à cette époque, qu’aucun –e étranger-e n’a pu en décrire les dirigeant-e-s à ce moment, et que les archives du pays seraient truquées, qui nous  dit que ce matriarcat uchronique n’a pas réellement existé ?

Vous devez vous demander pourquoi je parle en long et en large de cette œuvre alors que je dénonçais quelques paragraphes plus haut les problèmes d’essentialisation dans les univers matriarcaux. Eh bien justement car je trouve que « Le Pavillon des Hommes » aborde lui cette thématique de manière subtile et intéressante. La question est rarement traitée de manière frontale, mais quelques scènes et dialogues ici et là montrent comment la perception des genres évolue au fil du temps dans cette société. 



Déjà, comme évoqué plus tôt, on remarque que quelques générations seulement après la nomination de la première shogun, la situation du matriarcat est, à l’exception de quelques survivance comme les titres masculins ou une caste de guerriers, complétement normalisée. Plus personne ne s’émeut de la domination féminine, et l’époque où les hommes auraient dirigé le pays n’est plus évoquée que sous forme de blague ou par quelques vieillards irréductibles.

Et, en cohérence avec les thèses de Colette Guillaumin, on observe petit à petit les que les caractéristiques « naturelles » attribuées à chacun des genres glissent et finissent par s’inverser en suivant les dynamiques de pouvoir. Les hommes qui survivaient à la « variole du Tengu » étant rares, les femmes aisées étaient prêtes à payer cher pour un mari tandis que les plus pauvres dépendaient de relations tarifées ou ponctuelles pour s’assurer une descendance. Les jeunes garçons étant alors une source de revenu essentielle pour la plupart des familles, grâce au mariage ou à la prostitution, ils furent petit à petit confinés à l’intérieur comme des trésors à préserver, tandis que les femmes partaient travailler aux champs ou à l’atelier. Et les hommes devinrent des choses fragiles et délicates.

Cependant, l'inversion des "natures" n'est pas totale. Le mythe de la prédisposition masculine à la violence demeure un certain temps, mais sera retourné contre les hommes en servant à les évincer de certaines positions - une des shogun interdira totalement les héritiers mâles dans la noblesse suite à une histoire de vengeance sanglante impliquant l'un des derniers seigneurs. 

D’autre part le nouveau rôle social réservé aux hommes accorde une importance croissante à leurs attraits esthétiques. Les femmes des classes supérieures recherchent des garçons aux traits fins, à la démarche élégante, aux membres effilés, à la jolie voix, bien habillés, qui savent les divertir en dansant ou jouant de la musique. Leur jeunesse devient un enjeu considérable, les plus vieux étant vite considérés comme des charges inutiles. En parallèle, les femmes sont estimées pour leurs qualités de gestionnaires, leur esprit d’entreprise ou leur autorité, mais de moins en moins d’allusions sont faites à leur âge ou leur physique.
 « Comment cela ? Les femmes de son pays auraient-elles la santé fragile ? »
 (Case de droite) «Vous m’avez bien entendue ! Les cinquante hommes réunis ici peuvent dès aujourd’hui quitter ce pavillon ! Comme vous le savez, la maison shogunale rencontre de graves difficultés financières et il est impératif de réduire les effectifs ! »
(Case de gauche) « Vous vous demandez peut-être pourquoi c’est vous que j’ai choisi précisément ? C’est parce qu’avec vos charmes, je n’ai aucun doute sur vos chances de trouver rapidement une femme qui voudra bien vous accueillir dans sa famille. Les moins bien gâtés par la nature auront peut-être plus de difficultés à trouver chaussure à leur pied ? C’est pour cela que tiens à les garder au service du pavillon. »

Pour finir, le plus intéressant est peut-être qu’en dépit de la transition des genres au pouvoir, le carcan institutionnel, militaire et religieux demeure exactement le même. L’exercice de l’autorité et le fonctionnement hiérarchisé de la société évoluent, mais uniquement selon les contextes politiques et les personnalités des dirigeantes. Le système social en place reste très violent pour une partie de la population, et très confortable pour une autre, le servage et le sexage en étant toujours les piliers.
L'homosexualité et la transidentité y sont plus visibles et bénéficient d'une certaine indulgence, mais la société n'en reste pas moins binaire et hétéronormée.
Malgré l’ambiance faussement apaisée du pavillon des hommes, la misère, la famine, les assassinats, les violences physiques et sexuelles n’ont certainement pas disparus et prennent même parfois une place importante dans l’histoire. La plupart des personnages de pouvoirs décrits sont à la fois touchants, et agresseurs. Charismatiques, et  bénéficiaires d'un système hautement inégalitaire qu'ielles ne cherchent pas à renverser.
Ici, il ne suffit de changer un paramètre du milieu pour en faire une utopie ; la violence est inhérente à tous les systèmes de domination qui s’entremêlent.

Vous pourriez me dire que l’auteure s’est juste contentée d’inverser les rôles en brodant une histoire émouvante autour. Certes, mais décrire une société matriarcale cohérente nécessite d’avoir bien saisi les mécanismes du patriarcat, et d’avoir su remettre en cause l’idéologie naturaliste. Ce qui n’est pas si évident quand on voit toutes les œuvres caricaturales sur le sujet - le meilleur reste à venir ;)

L’horreur castratrice 


En fouillant le web et ma mémoire, je me suis rendu compte avec une pointe de surprise que dans les œuvres de Science-Fiction ou de Fantasy, l'immense majorité des matriarcats décrits étaient des univers dystopiques : tous plus ou moins horrifiques, esclavagistes ou autoritaires.

Évidemment, il y a encore ici une part d'essentialisme. Si ça va aussi mal, c'est sûrement parce qu'elles sont irrationnelles, jalouses ou rancunières. Plus rarement, on a aussi l'idéologie naturaliste qui dégouline sur les caractéristiques physiques.
Par exemple, le matriarcat cruel, cynique et empoisonneur décrit dans les "Royaumes Oubliés" d'Ed Greenwood, existerait grâce à la force physique supérieure des femmes Drow - elfes noires, de leur stature plus haute et massive. C’est encore une fois inverser la cause et l’effet, car il s'avère que les différences de taille et de carrure entre les genres seraient elles aussi une conséquence du patriarcat - causées notamment par une sous-alimentation chronique. Et non l'inverse.

Mais il y a plus que ça.
Quand la domination féminine implique forcément la mise en place d'un régime totalitaire où tous les hommes découverts subiront une vaginoplastie forcée ("Sexmission", 1984), ou alors d'envoyer un tank aux trousses des mâles réfractaires avant de les violer à la chaine ("Calmos", 1976), ce n'est pas juste parce que les femmes sont vues comme des êtres futiles ou irritables.
C'est aussi, je pense, parce que ces œuvres partent du postulat de base que la société actuelle est globalement égalitaire entre les sexes, ou dans une situation d'équilibre appréciable, peut-être même un peu trop féministe. Et le matriarcat devient alors un extrémisme forcément dangereux et régressif, à l'opposé d'un modèle connu et rassurant qui refuse de se dire patriarcal.
Le pire étant qu'en creusant un peu, on se rend compte que les sévices infligés aux hommes dans ces univers cauchemardesques ne sont pas forcément si éloignés de ce que subissent quotidiennement certaines femmes - ou minorités de genre. 


Et opposer un monde "plutôt égalitaire même s'il y a encore quelques petit progrès à faire" à celui "où les femmes auraient tous les pouvoirs et les hommes ne pourraient plus rien faire" est l'un des plus vieux marronniers antiféministe. C'est non seulement nier la réalité du patriarcat et sa violence quotidienne, mais aussi invalider les combats féministes en faisant passer ça pour une envie de pouvoir démesurée ou une lubie inutile et dépassée.
Ce n'est pas pour rien que l'épouvantail du matriarcat totalitaire est régulièrement agité par les masculinistes et les conservateurs en général. Imposer une vision du monde où les femmes ne seraient pas un groupe opprimé, mais une armée de furies castratrices à réprimer sévèrement, serait tellement pratique.
Après, les fictions mettant en scène des matriarcats horrifiques font en général preuve de plus de nuance ou d'ironie que les discours réactionnaires. Et parfois même retournent le message politique.

Par exemple, les matriarcats inventés par Riad Sattouf. Vous pensez sûrement au film "Jacky et les filles", une inversion des genres - la touche d'absurde en plus - qui vise clairement à dénoncer les régimes ultraconservateurs. Mais j'aimerais surtout évoquer une des aventures de Pascal Brutal - l'homme le plus viril du monde. Notre héros se retrouve dans une Belgique devenue "gynarchique" où les hommes sont réduits à l'état d'objets sexuels: ils n'ont plus le droit à la parole où à la libre circulation, et doivent se tenir perpétuellement à disposition de leurs "maitresses" sous peine d'ennuis avec les forces de l'ordre. Les tuniques masculines excessivement ridicules, que l'on retrouvera dans Jacky & les filles, font leur première apparition. Et pire que tout, la lunette des toilettes est collée.


Chose amusante, l'idée de gynarchie est ici attribuée à Valérie Solanas - féministe radicale, qui n'a cependant jamais revendiqué la mise en place d'un matriarcat, comme d'ailleurs aucune autre féministe - et à Aline d'Arbrant - à l'origine de livres promouvant une gynarchie brutale et fasciste, en fait l'auteur Alain Bertrand détaillant des fantasmes BDSM sous un nom de plume féminin. Comme quoi c'est un concept qui repose sur des bases bien plus fictionnelles que réelles.

Dans cette courte bande-dessinée, en abandonnant le cadre post-apocalyptique sexy pour une ville belge un peu ringarde, les tentatives du héros de rester viril à tout prix paraissent plus pathétiques qu'héroïques, et le cauchemar des masculinistes prend une tournure ridicule.


Pour en finir

Bien que l'idée de matriarcat a pu être inspirante pour les mouvements féministes, via des oeuvres comme Sultana's Dream de Rokeya Sakhawat Hussain ou la genèse de théories radicales / ségrégationnistes, aucun courant féministe de ma connaissance ne se réclame réellement du matriarcat.
A l'inverse, j'ai l'impression que le concept, quand il n'était juste pas un ressort scénaristique attractif et bon marché, fut plus utilisé pour nier la démarche égalitaire du combat féministe que pour le soutenir.
Cependant, nombre de représentations plus récentes, en offrant habilement un miroir du patriarcat, permettent d'interroger les mécaniques de domination.
En espérant qu'un jour nous n'aurons plus à répéter que lutter pour la prise de pouvoir au sein du patriarcat, ou son abolition, n'a évidemment rien à voir avec une quelconque intention gynarchique.


BONUS
Framboise

Commentaires

  1. Je rattrape les articles du Féminibooks et quel plaisir de te lire. C'est incroyablement complet et intéressant. Merci =)

    RépondreSupprimer
  2. Super intéressant comme article ; il y a quand même un truc qui me chiffonne (pas toi, hein, mais la vision générale du matriarcat et patriarcat) ce qui différencie réellement les deux ce n'est pas "qui est au pouvoir" (même i ça en découle), mais qui donne la filliation aux enfants. Et je trouve dommage, que ce genre de détaille soit rarement exploité alors que le peuple de Na qui est réelle fonctionne ainsi depuis 2000 ans à peu près.
    Je suis d'accords sur le principe que peu importe "qui a le pouvoir", les intrigues politiques seront toujours des intrigues politique , un.e chef.fe violent.e sera toujours un.e chef.fe violent. En revanche on remarque qu'il y a tout de même moins de violence dans le peuple où se sont les femmes qui transmettent la filiation. Je ne pense effectivement pas que se soit dû au prétendu caractère de tel ou tel sexe, mais simplement dû à "Maman sûr, papa peut-être..." qui n'a plus la même importance dans un peuple dont le père ne transmet pas son nom et qui du coup génère moins de tension dans une communauté.

    RépondreSupprimer
  3. Merci pour cet article passionnant et très instructif :)

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

[Analyse] Petit Spirou & Gros Malaise

[Analyse] La Viande de Femme